Intervention de M. Post, SPD, le 22 janvier 2018 à Berlin
Monsieur Achim Post (Minden) (SPD) :
Monsieur le Président, chers collègues de France et d’Allemagne, je suis ravi que nous ne soyons pas réunis aujourd’hui pour une célébration, mais plutôt pour un débat, solennel à mes yeux. Nombre de collaboratrices et de collaborateurs, nombre de collègues ont contribué à sa préparation. Il en est un, pourtant, que j’aimerais particulièrement mettre en avant, car les choses ne se seraient pas faites sans lui. Je pense à Andreas Jung, notre collègue du Bade-Wurtemberg, qui a été le moteur de cette initiative.
Les intervenants qui se sont exprimés jusqu’à présent ont beaucoup parlé d’Europe, de coopération franco-allemande. Je voudrais quant à moi commencer par vous raconter un épisode datant de la semaine dernière. Ma fille cadette devait rédiger pour l’école un devoir sur la création de la CECA. Le travail achevé, elle m’a lu – à ma plus grande fierté – son texte, qui évoquait les intérêts spécifiques français et allemands, la personnalité du grand homme qu’était Robert Schuman. La lecture terminée, elle m’a dit : « Papa, j’ai encore une question. C’est quoi, un ennemi héréditaire ? » Ce mot revenait en effet dans de nombreux textes. Or, ma fille, âgée de quinze ans, n’avait jamais encore entendu parler du concept d’ennemi héréditaire.
On trouve des millions de familles comme la mienne en France et en Allemagne. En 1945, mon père, alors âgé de huit ans, a fui la Prusse-Orientale devant l’Armée rouge. Mon grand-père a connu deux guerres mondiales. Son père a vécu la guerre franco-prussienne de 1870. Et ma fille, cette jeune fille de quinze ans, entend pour la première fois parler d’un ennemi héréditaire. Disons-le, chères et chers collègues : si 55 ans après la signature du Traité de l’Élysée, les jeunes d’aujourd’hui ne savent plus ce qu’est un ennemi héréditaire, nous avons bien avancé.
Vu que, 55 ans plus tard, nous sommes tous – ou presque – passés du statut d’ennemi héréditaire à celui de conjoint inséparable, l’heure est venue de laisser souffler un vent nouveau, de trouver un courage nouveau, des idées et des ambitions nouvelles. Voilà la raison pour laquelle nous sommes réunis ici. Nous voulons un nouveau Traité de l’Élysée ou, à tout le moins, une refonte du Traité actuel. Je pense que l’heure est venue.
Pour ce faire, nous devons faire trois choses en même temps – une gageure peut-être pour certains hommes, mais il est possible de faire trois choses en même temps.
Premièrement, nous devons dès demain traduire dans les faits les grandes ambitions énoncées dans le projet de résolution des quatre groupes parlementaires. Car elles sont nombreuses : de la coopération transfrontalière à la coopération interparlementaire, en passant par l’union économique franco-allemande et la mise en place d’un sôcle européen.
Deuxièmement, nous devons réformer l’Europe. Le président Macron a même parlé de refonder l’Europe. De mon point de vue, de celui de mon groupe et, sans doute, de la majorité de cette assemblée, il faut se laisser guider par plusieurs principes. Nous avons besoin d’une Europe de la démocratie. Nous la voulons. Car l’Europe ne fonctionne pas lorsque l’État de droit, les valeurs fondamentales et la séparation des pouvoirs y sont traités comme des marchandises posées dans les rayons d’un supermarché, dont chacun des 28 partenaires actuels peut se servir au gré de ses besoins. Cela ne peut pas fonctionner.
Nous avons besoin d’une Europe des investissements. Tout investissement consenti en Europe profite aussi à l’Allemagne et à la France. Tout investissement en Europe est porteur d’avantages pour nos deux pays. Investissons donc ensemble davantage en Europe. C’est bon pour la compétitivité de l’Europe et pour l’avenir de l’Europe.
Nous avons naturellement aussi besoin d’une Europe de l’équité. Quand on voit qu’en Europe méridionale, 20, 25, 30, 40 % des jeunes sont au chômage, on ne peut que conclure que l’Allemagne et la France doivent jouer un rôle moteur pour que davantage de ressources soient engagées dans la lutte contre le chômage des jeunes. En ce qui nous concerne, nous y sommes prêts.
– J’entends dire que vouloir lutter contre le chômage des jeunes relèverait du bavardage socialiste.
Soit dit en passant, Monsieur Gauland : Charles de Gaulle était un grand patriote et un grand européen. J’ai beau chercher : je ne retrouve jusqu’ici ni l’un ni l’autre chez vous.
C’est pourquoi nous voulons œuvrer ensemble à une Europe de la paix et de la responsabilité à l’échelle mondiale. Il y a quelques semaines, nous avons lancé le processus en posant les premiers pas vers une union de la sécurité et de la défense, nécessairement fondée sur le maintien de la paix, la prévention des conflits et la négociation.
J’en viens ainsi au troisième point, à la troisième chose que nous devons faire – et c’est sans doute la plus difficile. Nous devons être plus audacieux. Nous devons aborder ouvertement certains sujets.
Pour commencer par le point de vue allemand, nous devons mettre un terme à ce mensonge éhonté qu’est le débat allemand sur les contributeurs nets, en vertu duquel l’Allemagne serait la bête de somme de l’Europe. Quelle ânerie ! L’Allemagne est la principale bénéficiaire de l’Union européenne : que ce soit sur le plan politique, économique, social ou culturel, mes chers collègues.
Si nous voulons poursuivre le développement de l’Europe, ce n’est pas seulement par une réforme de la zone euro – absolument indispensable – mais aussi de façon très pratique, en réformant par exemple la Commission. Certains pays européens sursautent lorsqu’ils entendent que les Français et les Allemands pourraient s’être accordés sur le nombre de commissaires : ils pensent que nous entendons nous en tirer à bon compte, en encourageant les plus petits États membres à renoncer à un représentant. Si nous voulons vraiment avancer sur cet élagage, que j’estime opportun – on a parlé, par exemple, de quinze commissaires –, alors la France et l’Allemagne doivent prendre l’initiative, soit en nous partageant un commissaire, soit en en désignant un à tour de rôle. Alors seulement, chers collègues, les autres se montreront prêts à participer. Je l’ai dit : c’est une proposition audacieuse, mais il faut y réfléchir.
Cela vaut aussi pour les listes transnationales. Nous en parlons sans cesse : des listes transnationales, cela pourrait être magnifique à l’occasion des prochaines élections européennes. En fin de compte, nous disons chaque fois que c’est une idée superbe, que nous mettrons en œuvre la prochaine fois.
Je voudrais donc dire, pour conclure, que nous voulons tous – ou en tout cas, la plupart d’entre nous – que ma fille Marlene et tous les Européens qui ne savent pas ce qu’est un ennemi héréditaire puissent prendre leur vie en main et la mener comme ils l’entendent. Je ne doute d’ailleurs pas qu’ils y parviendront. Mais, pour ce faire, il faut leur donner un cadre politique adéquat, prendre les décisions qui s’imposent. Pour ma part, chères et chers collègues, j’entends que ces décisions soient prises à Berlin, à Paris et à Bruxelles, et non à Moscou, à Washington ou à Pékin. C’est pour cela que nous avons besoin de la coopération franco-allemande, pour cela que nous avons besoin de l’approfondissement de l’Union européenne.
Je vous remercie.
Monsieur Wolfgang Schäuble, président :
La parole est à la présidente du groupe AfD, Mme Alice Weidel.