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Intervention de M. Hardt, CDU/CSU, le 22 janvier 2018 à Berlin

Monsieur Jürgen Hardt (CDU/CSU) :

Monsieur le Président de Rugy, chers collègues français, Monsieur le Président, chers collègues, je suis né en 1963, l’année du Traité de l’Élysée. Lorsque j’avais 15 ans, je suis allé en France dans le cadre d’un échange scolaire – ce qui était aussi une conséquence de ce Traité.

Un épisode m’est resté en mémoire plus que tout autre. Avec mon ami partenaire d’échange, nous étions allés chez son grand-père, qui habitait une petite maison non loin de Compiègne ; il voulait me transmettre un message, à moi, l’écolier allemand, et me répéta plusieurs fois : Plus jamais la guerre ! Plus jamais la guerre ! – Cela m’avait alors beaucoup surpris, moi, jeune de 15 ans ; j’avais en effet plein d’idées qui me traversaient la tête, mais certainement pas celle d’une guerre avec la France. J’avais traversé la Forêt de Compiègne et j’étais arrivé là sur un beau vélo Peugeot, et ce vieil homme me mit face à ce que j’appellerais aujourd’hui son traumatisme, lui qui associait l’Allemagne au danger de la guerre.

Quel grand cœur il a fallu à cette génération, celle des grands-pères et des grands-mères de nos partenaires d’échange scolaire, pour qu’ils nous tendent alors la main, en 1963, lors de la signature de ce Traité d’amitié. Ce fut un grand geste, unique au XXe siècle. Soyez-en remerciés !

Je voudrais, à la fin de ce débat, porter le regard sur un aspect qui occupe une place importante dans notre résolution commune, à savoir notre responsabilité commune envers l’Europe. M. Lindner l’a évoqué : l’Allemagne et la France doivent avoir une bonne collaboration pour que l’Europe aille de l’avant. Mais il ne peut naturellement pas être donné l’impression que l’Allemagne et la France sont les maîtres à penser de l’Europe. Je crois que l’équilibre entre la responsabilité qui incombe naturellement aux deux grandes nations au cœur de l’Europe que nous sommes, d’une part, et les intérêts des États moyens et plus petits de l’Union européenne a été bien respecté ces dernières années. Ce qui est vrai aussi, c’est que quand l’Allemagne et la France ne prennent pas l’initiative au Conseil européen, les regards des autres chefs d’État et de gouvernement se tournent vers le président français et la chancelière allemande, comme pour dire : quel est votre avis ? – Ce n’est pas là un rôle que nous tentons d’imposer, c’est plutôt un rôle dont nous pouvons bien nous accommoder.

Ces derniers mois nous ont donné un bon exemple de ce qu’une initiative franco-allemande qui inclut les autres partenaires peut conduire à un bon résultat ; cet exemple, c’est celui de la CSP, la coopération structurée permanente qui a été convenue dans le domaine de la politique de défense. Notre chancelière, la ministre de la Défense et le ministre des Affaires étrangères ont discuté, d’abord avec les Français, mais ensuite – très rapidement – avec les autres chefs d’État et de gouvernement, sur ce qu’on pouvait faire, et au final, nous pouvons constater que presque toutes les nations de l’Union européenne participent à cette coopération structurée permanente dans le domaine de la défense – une initiative franco-allemande, donc, qui a reçu le soutien des nombreux États membres de l’Union européenne, moyens et petits. C’est, comme je le crois, une preuve que cela fonctionne.

Si l’on regarde l’agenda des prochains mois et des prochaines années, nous avons de grands sujets où l’amitié franco-allemande et la coordination de notre politique seront déterminantes. Je pense que nous ne pourrons atteindre les ambitieux objectifs climatiques de l’accord de Paris que si nous nous entendons, au sein de l’Union européenne, sur les instruments appropriés ; Christian Lindner l’a déjà évoqué. Il doit naturellement s’agir d’instruments de l’économie de marché. Nous n’avons pas besoin d’instruments qui faussent la concurrence, mais d’instruments qui nous conduisent à la décarbonisation de notre économie, comme l’on dit aujourd’hui. C’est un des sujets.

Un autre grand sujet qui est devant nous, c’est la question du Brexit. Je pense que c’est une bonne chose qu’il y ait eu ces derniers jours des entretiens entre la Première ministre britannique et le président de la République français, que l’on se penche concrètement sur les premières questions importantes qui se posent en lien avec le Brexit, si tant est qu’il ait lieu un jour. Je crois qu’il nous faut définir en Europe un discours à tenir vis-à-vis des citoyens britanniques, un discours qui leur dise clairement : quel que soit l’accord qui sera trouvé à la fin, quels que soient la date du Brexit, et la manière dont il aura lieu, il devra y avoir une amitié étroite entre les Britanniques et les citoyens de l’Union européenne même après le Brexit. Nos relations seront toujours particulières. Ce serait une bonne chose que non seulement l’Allemagne, mais aussi la France adoptent cette ligne.

Je conclus. Nous devons aussi réfléchir sur ce que nous pouvons faire pour que les femmes et les hommes en Europe comprennent, encore plus qu’avant, que l’Union européenne contribue à la solution des problèmes qui les assaillent. L’Union européenne a fait une promesse à Lisbonne. Elle veut être la région économique la plus innovante et la plus dynamique du monde. Elle veut créer des emplois qualifiés pour les gens. Nous avons aussi promis de protéger de manière fiable nos frontières face à ceux qui n’ont aucun motif de venir sur le sol de notre Union européenne. Je crains que sur cette triple promesse – dynamisme économique, lutte contre le chômage des jeunes et sécurisation des frontières –, nous ne soyons pas arrivés à un point où les citoyens puissent nous dire : 15 ans après votre promesse, la voilà réalisée. C’est pourquoi je crois qu’il faut une initiative forte du Conseil européen, de la Commission européenne et du Parlement européen, mais aussi des gouvernements français et allemand, pour engranger des succès et pour que les citoyens placent à nouveau pleinement leur confiance dans l’Union européenne.

C’est dans cet esprit que je vous dis : vive l’amitié franco-allemande !

Je vous remercie.

Monsieur Wolfgang Schäuble, président :

Le débat est clos.