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Allocution de M. François de Rugy, Président de l'Assemblée nationale, le 22 janvier 2018 à Berlin

Examen de la résolution franco-allemande pour un nouveau Traité de l’Elysée

Intervention devant le Bundestag

(Berlin, 22 janvier 2018)

 

Monsieur le Président du Bundestag, Madame la Chancelière fédérale, chers collègues, chers invités,

Tout d’abord, merci.

Merci à vous, monsieur le Président, pour votre hospitalité.

Merci à vous, mesdames et messieurs les députés, pour votre accueil.

Et merci tout particulièrement à celles et ceux d’entre vous qui ont rédigé le texte de la résolution. Elle sera examinée ce matin ici à Berlin et cet après-midi à Paris. Cela résulte d’une coopération étroite entre nos deux parlements.

Cela fait de cette journée, pour nos deux parlements, une journée particulière.

Il y a aujourd’hui 55 ans, deux hommes, Konrad Adenauer et Charles de Gaulle, ont ouvert un chemin. Un chemin de réconciliation entre deux peuples largement sceptiques et hostiles.  

L’un et l’autre avaient vécu les épreuves des deux guerres mondiales.

Et l’un et l’autre connaissaient aussi les occasions manquées entre nos deux pays.

En signant le Traité de l’Elysée, ils ont su conjurer le conformisme. Ce conformisme qui, 35 ans auparavant, avait eu raison de l’œuvre d’Aristide Briand et de Gustav Stresemann.

Voilà ce dont nous devons aujourd’hui être conscients : aussi surement que le nationalisme mène à la guerre, le conformisme conduit à l’impuissance.

Cet anniversaire du traité de l’Elysée prend aujourd’hui une dimension particulière.  

Nos parlements, aujourd’hui, ne seront pas seulement des lieux de discours. Ils exercent leurs fonctions essentielles dans une démocratie : ils sont lieux de débats, ils seront lieux de décisions, par le vote.

Il s’agit aujourd’hui de saluer l’action passée, d’analyser lucidement du présent, de préparer concrètement pour notre avenir.

Le passé, comment ne pas le ressentir ici, dans ce bâtiment qui symbolise tant aux yeux du peuple allemand, mais aussi à l’échelle de l’Europe ?

Ce passé nous enseigne les dangers du populisme. Il commence toujours par le rejet de l’étranger. Il se poursuit par le rejet de l’Autre. Il disloque les sociétés et finit par réduire la démocratie en cendres.

Ce passé nous dit l’impasse du nationalisme agressif.  Il oppose les peuples et finit dans la guerre.

Mais ce passé, plus proche, nous montre également la force de la volonté, la capacité à surmonter les divisions, à réunifier un peuple, à rétablir la démocratie, et à inscrire une histoire nationale dans une perspective plus vaste : celle de l’Europe.

Oui, ces murs parlent. Ces pierres parlent - celles qui sont là mais aussi celles qui ne sont plus. Cette nouvelle verrière nous incite à nous ouvrir et à voir loin. Et ce lieu nous raconte une Histoire, nous parle de nous-mêmes : il parle de vous, Allemands, mais il parle également au Français que je suis, comme il parle à tous les Européens.

Considérer l’amitié franco-allemande comme le socle de l’Europe ne consiste naturellement pas à placer nos autres partenaires sous la tutelle d’un directoire franco-allemand.

Le projet européen est et demeure, depuis 1957, un partenariat de Nations égales, partageant les mêmes droits.  

Mais regardons la réalité :

Quand la France et l’Allemagne se combattent, il n’y a pas de paix en Europe.

Quand la France et l’Allemagne s’ignorent, ou se parlent sans vraiment dialoguer, ou s’écoutent sans réellement se comprendre, l’Europe piétine.

Notre Europe a su surmonter la crise des dettes souveraines. Elle a su conjurer les risques du Brexit.

Mais notre Europe est également en proie aux doutes, aux difficultés sociales et économiques, à des périls nouveaux.

Nous ne pouvons trouver qu’ensemble une solution à la crise migratoire.

Nous ne pouvons affronter qu’ensemble la concurrence de nouvelles puissances mondiales.

Ces périls concernent chacune de nos Nations. Nos sociétés peuvent être tentées par le repli. C’est un risque palpable.

 Le néo-populisme, les tentations nationalistes menacent toutes les Nations européennes.

Y compris les plus prospères, y compris les sociétés à la culture démocratique la plus ancrée.

Nous en savons quelque chose, vous Allemands, nous Français.

Ces périls sont extérieurs : le terrorisme frappe partout dans le monde, et particulièrement en Europe. Certains pays, y compris en Europe, évoluent vers de vraies dictatures ou vers des démocraties non libérales.

Or, les valeurs démocratiques qui nous sont communes sont porteuses d’une vision particulière de l’ordre international : le multilatéralisme. La méthode multilatérale, celle de la négociation et de la recherche du compromis, a fait le succès de l’entreprise européenne.

Sans multilatéralisme, il n’y a pas de solution au changement climatique.

Notre Europe est bâtie sur les traités. Nous devons les respecter. Ainsi naît la confiance. Et la France s’y emploie.

Cela est nécessaire, mais pas suffisant.

Car l’Europe est d’abord une extraordinaire idée.

Pourtant, la défiance et le scepticisme se sont enracinés ces vingt dernières années dans les opinions publiques européennes.

Il nous faut de nouvelles méthodes, qui tirent les leçons des succès, mais aussi des échecs d’hier.

Le projet européen ne peut être l’ambition de quelques dirigeants, aussi sincères et convaincus soient-ils.

Des consultations citoyennes sur l’Europe débuteront en France au printemps. Je souhaite qu’elles s’étendent au plus grand nombre de pays. Les citoyens doivent enfin être placés au cœur du projet européen.

Si l’Europe ne se résume pas à la coopération franco-allemande, le renforcement de la coopération entre nos deux pays est une condition du renforcement de l’Europe.

Nous avons cette responsabilité.

C’est l’ambition que nous portons aujourd’hui d’un nouveau Traité de l’Elysée.

Le texte qui vous vous est soumis a été élaboré par un groupe de Députés. Ces Députés se sont impliqués de longue date dans les relations entre nos deux pays. Je souhaite de nouveau les remercier pour leur travail.

Il constitue une base sérieuse pour se projeter dans l’avenir sur des questions essentielles :

la pratique mutuelle de nos langues respectives. Comme vous pouvez le constatez, je dois encore faire des progrès dans ce domaine, 

les opportunités industrielles ouvertes par l’économie numérique,

les eurodistricts, qui effacent presque les frontières entre nos deux pays : c’est une autre réalité humaine de la relation franco-allemande. 

Ce projet est fidèle au Traité de l’Elysée : il est tourné vers l’avenir.  

La France et Allemagne ne forment plus simplement un couple : nos deux pays forment une famille ! et par l’exercice parlementaire conjoint auquel nous nous livrons, c’est aussi cela que nous signifions.

Nos parlements doivent travailler ensemble, veulent travailler ensemble. Et cela commence avec ce texte aujourd’hui !

  C’est à un exercice innovant que nous sommes appelés à participer ensemble aujourd’hui.

Peut-être pouvons-nous partager ensemble un vœu : que, dans l’Histoire que raconteront demain ces murs, ces pierres, à leurs visiteurs futurs, ces moments que nous partageons trouveront leur place, laisseront leur trace.

Je vous remercie.